Revue de Presse L’expérience à l’épreuve

« Face à Face »

la Cause littéraire
21 novembre 2018
Jean-Paul Gavard-Perret, professeur d’université, poète, critique

La recherche de la vérité et la manière de résoudre les problèmes que cela pose restent le centre des querelles dont les lettres de Bataille et Ambrosino se font écho. Les deux chercheurs pouvaient se rejoindre dans une forme de synthèse ou du moins vers celui qui pourrait la donner : le poète. Seul il « sait qu’il n’y a pas de solution mais seulement une intensité dans le paradoxe ». Mais pour Ambrosino, le scientifique s’en estime plus proche que le philosophe. Ce que Bataille d’une certaine manière conteste : au mépris du savant répond sa méfiance envers lui.

Dès lors la correspondance avance telle une course d’obstacles intellectuels mais aussi psychologiques. Les deux correspondants possèdent leur caractère. « Ambro », quoique bouillonnant de vie, est toujours réfléchi, maîtrisé, porté à communiquer. Bataille est plus emporté et cassant, prêt à rompre sinon l’amitié du moins la  correspondance. Sa rage pourtant ne pointe jamais dans ce dialogue. En dépit de ses divergences avec Ambrosino, il reconnaît ses qualités intellectuelles et son raisonnement. Mais plus que lui, Bataille se laisse emporter vers certaines « folies ». En ce sens il est plus poète que son correspondant. Toutefois et comme le souligne en fin de livre la fille de Bataille, « leurs limites étaient différentes », si bien que leurs diverses colères se conjuguent que bien, que mal.

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« La communauté (in)avouable »

lelitteraire.com
24 novembre 2018
Jean-Paul Gavard-Perret, professeur d’université, poète, critique

Certaines correspondances croisées n’ont d’intérêt qu’anecdotique. Elles se consultent comme on va rendre visite à une vieille cousine qui n’a plus grand chose à dire. Mais d’autres parlent en faisant abstraction de papotages subsidiaires. Ambrosino et Bataille le prouvent dans leurs échanges post-guerre mondiale. Et Claudine Frank en offre une édition scientifique plus que pertinente.

Du dialogue entre le philosophe et le scientifique, se dégagent – pour peu qu’on les décontextualise – des réflexions impertinentes et profondes. En rien contingentes, elles n’ont pas perdu une once de leur actualité. Entre autres sur la notion d’énergie – de la bombe atomique jusqu’à la notion d’animal, de nourriture – à travers l’histoire des sociétés. La réflexion prend dans un tel échange une dimension qui pourrait aujourd’hui encore « nourrir » le débat intellectuel en ses nouvelles données spécistes.

Les deux auteurs se contredisent (au besoin) afin de savoir sous quelles conditions le fondement de la richesse est l’énergie « appropriée » d’un point de vue scientifique, économique, et philosophie. L’analyse s’approfondit au fil des échanges et des textes inédits qui les suivent. S’y retrouve le creusement de la notion de « dépense ». Il s’agit d’un concept clé chez Bataille. Et les deux correspondants cherchent à préciser ce qu’il engendre, dans la pratique et sous divers plans.

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l’Expérience à l’épreuve

visuelimage.com
24 janvier 2019
Gérard-Georges Lemaire, écrivain, traducteur et historien de l’art

Nous pensions à peu près tout savoir de Georges Bataille, rien de plus faux ! Cette correspondance inédite jusqu’à ce jour nous révèle une grande amitié que l’auteur de Madame Edwarda a entretenue avec un physicien nucléaire pendant plus de trois lustres. La relation entre les deux hommes a débuté avec l’intérêt du jeune étudiant en mathématiques pour le groupe Contre-Attaque avant la guerre. Ce dernier a écrit à Bataille dès 1943, mais leur correspondance n’a pu commencer que deux ans plus tard. Georges Ambrosino s’est particulièrement intéressé aux thèses avancées par l’écrivain dans la Part maudite, et il a défendu l’idée d’une énergie qui n’est pas cumulable. C’est la contestation de l’idée de potlatch défendue par Bataille. Mais malgré ces divergences, leur amitié se consolide et Bataille a assez confiance en son cadet pour lui demander de corriger ses articles. Ce dialogue critique ne cesse de s’enrichir. Ils ont des échanges soutenus quand Bataille prépare la sortie de la revue Critique en 1946. Les deux hommes se rencontrent régulièrement et poursuive une relation qui fait d’Ambrosino un regard bienveillant mais toujours vigilant sur ce qu’entreprend et pense Bataille. D’une certaine manière, il lui fait office de bras droit. Grâce à cette publication, nous sommes à même de juger non seulement des idées développées par Bataille (qui sont très éloignée de celle des théoriciens de gauche et en particulier de Sartre et des Temps modernes), mais aussi de son besoin d’avoir une personne de confiance pour apporter une réponse ses interrogations. Bien sûr cette édition est savante et compte de nombreuses notes, sans parler d’annexes importantes. Mais ce qui importe pour nous, simples amateurs de l’oeuvre de l’auteur de l’Expérience à l’épreuve de prendre la mesure de sa démarche et de sa façon de trouver un interlocuteur de qualité qui puisse lui parler sans faux-semblants. Ce cahier est vraiment passionnant et mérite qu’on le découvre si l’on tient mieux connaître bataille et son rapport avec cet homme qui a joué un si grand rôle dans sa vie intellectuelle sans être l’un des principaux protagonistes de la pensée en France après-guerre.

« Jean Lombre » ou les amis déconcertés

Critique no 864, mai 2019
Jean-François Louette, professeur de littérature française du XXe siècle à la Sorbonne

Plus jeune que Georges Bataille (il est né quinze ans après lui, en 1912), Georges Ambrosino le rencontre en 1931, à la revue la Critique sociale que dirigeait le communiste oppositionnel Boris Souvarine. Tout en continuant ses études de physique – il obtiendra l’agrégation en 1938 –, Ambrosino suit Bataille lorsque ce dernier fonde en 1935, avec André Breton, le mouvement Contre-Attaque, puis lorsqu’il crée le groupe ou société secrète Acéphale en 1936. La dernière page du premier numéro de la revue Acéphale, en juin 1936, indique qu’elle est publiée par Georges Ambrosino, Georges Bataille et Pierre Klossowsky (sic), indication maintenue dans l’« ours » des numéros 2 (« Nietzsche et les fascistes », janvier 1937) et 3-4 (« Dionysos », juillet 1937). Ambrosino n’y publie pourtant pourtant aucun texte (pas plus que dans le dernier numéro, de juin 1939). Mais il co-signe avec Bataille, Caillois, Klossowski, Libra et Monnerot la « Note sur la fondation d’un Collège de sociologie » qui paraît dans le numéro double de juillet 1937 : il s’agit – le projet est célèbre – de pallier les insuffisances de la science des structures sociales par l’activité dune « communauté morale » vouée à « l’étude de l’existence sociale dans toutes celles de ses manifestations où se fait jour la présence active du sacré ». La mobilisation de 1939, puis les nominations d’Ambrosino dans des lycées de de province – Nantes, Lyon[1] –, le séparent de Bataille jusqu’en 1943. Le contact se renoue autour du projet d’un « Collège socratique », et de l’Expérience intérieure, dont l’achevé d’imprimer est du même mois de janvier.

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l’Expérience à l’épreuve

la Revue du MAUSS
n° 53, 1er semestre 2019
Alain Caillé, sociologue

Georges Ambrosino, ami cher et disciple de Bataille, compagnon de route d’Acéphale et de Critique, est le physicien, avec lequel Bataille discute de la rédaction de la Part maudite  (et, avant, de la Notion de dépense). Il considère même que ce livre est aussi celui d’Ambrosino. Mais, curieusement, ce n’est pas sur l’idée de la dépense improductive du soleil qu’ils s’accordent (Ambrosino, au contraire, exprime son désaccord) mais sur les soubassements anthropologiques et philosophiques de la Part maudite. Peu à peu les mésententes à la fois théoriques et affectives (Ambrosino se rapprochant davantage d’Eric Weil) s’approfondissent pour laisser place au silence jusqu’à des retrouvailles tardives et précaires en 1956. Ces échanges épistolaires sont précieux pour comprendre ce qui animait ces héritiers nietzschéens et dissidents de Mauss, si influents sur toute l’intelligentsia française d’après-guerre.

Bestiaire de Georges Bataille

l’Expérience à l’épreuve

Frontières
12 juillet 2022
Laurence Sylvain, Université d’Ottawa

Georges Bataille, penseur marquant de la philosophie et de la littérature française du XXsiècle, a été l’objet de cinq cahiers aux Éditions les Cahiers[1]. Les Cahiers Bataille n° 5 ont pour thème le « bestiaire », c’est-à-dire les diverses figures et représentations animales qui traversent l’œuvre de Georges Bataille (1887-1962).

Dans le cadre de la publication de la série de cahiers consacrée à Bataille, les Éditions les Cahiers ont aussi publié en 2018, dans leur collection « Hors-Cahiers », des lettres inédites entre Georges Bataille et Georges Ambrosino, physicien nucléaire qui fut l’un de ses plus proches amis.

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Georges Ambrosino et Georges Bataille : la recherche de la vérité

Critiques Libres
5 janvier 2023
Jean-Paul Gavard-Perret

Complétées d’un essai inédit de Bataille sur Jean-Paul Sartre (1946) et de notes et manuscrits d’Ambrosino, ces lettres poursuivent le dialogue entamé avant guerre par les deux correspondants. Le philosophe et le scientifique manifestent un grand respect l’un envers l’autre. Ils cherchent à découvrir le monde et les hommes qui l’habitent, l’univers physique – celui des particules jusqu’au monde des étoiles. « Un monde formidable, si nouveau pour moi » écrit Ambrosino.

Dans cette correspondance se retrouve le côté passionné des deux correspondants. Ils sont fort de leurs savoirs mais vulnérables affectivement. Ils abordent des thématiques essentielles. Pour eux les valeurs soumises à l’éclairage du temps flambent comme des allumettes depuis les origines de l’homme, du monde, des civilisations. Les deux correspondants à la fois s’opposent et se réconfortent. Tout ne va pas sans heurts. Ils font des efforts pour toucher au mystère de l’homme dont l’essence est ce qu’il nomme « poésie . Ils continuent de la chercher comme ils le firent avant guerre au sein des premières revues qu’ils fondèrent (dont Acéphale) et celles qu’ils créèrent ensuite (Critique entre autres).

Les deux épistoliers font preuve d’écoute même s’ils s’accusent de ne pas s’entendre. Les deux auteurs font preuve d’attention, de lucidité, d’évidente responsabilité de ce qu’ils font tout en préservant la primordiale nécessité d’être soi-même. Claudine Frank offre de ce dialogue une édition scientifique, pertinente. Entre le philosophe et le scientifique, se retrouvent – pour peu qu’on les décontextualise- des réflexions qui n’ont rien perdu de leur actualité. Entre autre sur la notion d’énergie. La réflexion prend dans un tel échange une dimension telle qu’elle pourrait aujourd’hui encore « nourrir » le débat intellectuel jusque dans ses nouvelles données spécistes.