Revue de Presse Cahiers Bataille 1

Cahiers Bataille n°1,

Meurcourt, éditions les cahiers, 2011, 277 p.

Comme le suggère Christian Prigent dans un édifiant entretien reproduit en ouverture de ce recueil, à l’aune d’une époque hygiéniquement corrigée, homogénéisée en tout culturel ou tout festif, l’exploration renouvelée de l’œuvre au noir de Georges Bataille prend un caractère d’urgence salvateur.
D’abord, comme l’insinue Muriel Pic, en opposant à « la commensurabilité marchande de toutes choses » (p. 163) ce qui fonde et prolonge les intuitions de cet écrivain, à savoir la notion de dépense exercée « ailleurs que dans le roulement de la mode et de la bourse » (Dominic Marion, p. 179) et en dehors de la compulsion de consommation. D’une manière similaire, pour Chiara Di Marco, le réexamen de cette dimension an-économique qui subsume l’œuvre de Bataille ouvre une brèche béante sur l’impossible, une blessure libérant un souffle dionysiaque propre à entamer l’entreprise de positivation générale des représentations à l’œuvre dans le monde capitaliste.
Indiscutablement, au-delà du travail d’édification inhérent à la naissance de ce type de publication, s’affirme en ce lieu-revue un partage du sensible bataillien révélant de manière convaincante ses grands axes de fuite : le souci d’une connaissance opérant par l’agir, le gouffre et les affects, la recherche d’une esthétique de l’intensité et la souveraineté proclamée du désordre.
Une lecture éminemment politique.

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Georges Bataille, du dégoût au sublime ?

Jean-François LOUETTE
Critique 788-789
Janvier-février 2013

Diverses manifestations, en 2012, ont salué le cinquantenaire de la mort de Bataille : à Vézelay, une série de conférences du printemps à l’automne : à Paris, une journée d’étude au Centre Georges Pompidou (le 1er juin), et un colloque en Sorbonne, où tout finit comme juste (les 7 et 8 décembre). Diverses publications aussi.

On doit aux patientes recherches de Marina Galletti de pouvoir lire des textes inédits, qu’elle a retrouvé dans les fonds Bataille et Carrouges de la BNF. Datant du début des années trente, les dix-sept feuillets auxquels on peut attribuer le titre « Définitions de l’hétérologie »a ne modifient pas de fond en comble notre vision de cette discipline inventée par Bataille. Mais ils en font nettement ressortir deux de ses enjeux stratégiques. En construisant « une science de la partie exclue », la science paradoxale de ce qui est « irréductible à l’assimilation rationnelle », et en y incluant le sacré polarisé entre pur et impur, Bataille cherche, d’une part, à faire échapper la religion à « toute évolution purifiante », qui prétendrait la dégager du « cloaque initial » dans lequel se mêlaient le pur et l’impur, le sacré droit et le sacré gauche. D’autre part, il prétend aboutir à une nouvelle approche de la lutte des classes, non plus fondée sur l’analyse des rapports économiques de production, mais sur la description de la division polarisante entre classes hautes et basses, et des liens de répulsion / attraction qui se tissent entre elles. Or c’est à ce point que le texte s’arrête abruptement : comme si Bataille pressentait que son analyse de la division sociale, qui en vient à s’appuyer sur le système indien des castes, n’avait pour l’heure rien d’assez substantiels à proposer, pour ce qui est de la situation en Europe, à la dialectique marxiste ? – Par ailleurs Marina Galletti a publié, et là encore commenté, trois lettres de Bataille à Carrouges, datant de 1939. L’une décrit avec précision le protocole à suivre pour se rendre, depuis Paris, à une rencontre de la société secrète Acéphale dans la forêt de Marly. La deuxième en définit le sens – produire une « contagion brûlante » entre des hommes d’un nouveau genre, aptes à « apercevoir le pire », et donc la guerre imminente, « comme une réalité à [leur] mesure ». Et la dernière, très belle, définit une exigence radicale : « Il faudrait […] arracher de soi les dernières guenilles philosophiques et véritablement devenir nu. Nu comme un chien qui crève seul »b.

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Cahiers Bataille n°1 sur France Culture

L’essai du jour par Jacques Munier

Le Retour de Bataille

Jean-Claude Hauc
Hippocampe
la Nuit, N°7, avril 2012

Si durant les années 1970-1980 l’œuvre de Georges Bataille a nourri et « provoqué » de nombreux penseurs et écrivains, il faut bien reconnaître qu’au cours des deux décennies suivantes le public s’est quelque peu éloigné de celle-ci. Mais il semble que le XXIème siècle soit prêt à renouer avec ces textes et ce premier numéro des Cahiers Bataille en constitue la preuve indéniable. L’ouvrage s’ouvre sur des contributions de Claude Minière et Christian Prigent, deux des animateurs de la revue TXT, concernant le rapport complexe que Bataille entretient avec la poésie. Si celui-ci cherche sans cesse à se démarquer de l’idéalisme surréaliste, il considère également la poésie comme une sorte d’« au-delà  du discours » en rapport avec l’expérience intérieure, une limite littéraire à dépasser. Prigent  parle alors d’« inadéquation du corps symbolique au réel acéphale ».

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Rage souveraine

Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges
N°129, janvier 2012

 

Les éditions Les Cahiers, après deux volumes consacrés à Michel Leiris, se tournent vers l’œuvre de Bataille. Leur objectif est de rouvrir l’angle d’une vue possible sur cette masse d’écrits, souverains de n’avoir jamais voulu en eux qu’une rage (de l’écriture, de la narration, de la pensée) où ils se calcineraient. Ce double mouvement, les trois textes du Souverain (paru dans la revue Botteghe oscure entre 1952et 58) le nomment comme la force tournante du « non-savoir ». Ecoutons-la faire écho à l’ensemble des études de ce cahier, puisqu’elles le prennent souvent comme leur horizon d’analyse : « la pensée rigoureuse, la ferme résolution de penser, est défaillante déjà. / La possibilité, sur le toit, d’un équilibre angoissé est elle-même conditionnée par une vocation : celle de répondre à l’appel du vent, de répondre à l’appel de la mort ».

C’est ce que Dominic Marion ouvre, tant par la présentation qu’elle fait de son propre rapport à cette œuvre, que par une analyse méticuleuse de l’« économie du non-savoir » chez Bataille. Comprise selon les deux axes de sa figuration et de son irreprésentable, cette économie, élaborée depuis ses champs explorés (récit, psychanalyse, anthropologie, philosophie), D. Marion en écrit la puissance par une phrase-synthèse brutale, mais juste : « la littérature ne sert à rien, sinon qu’à réinscrire dans le savoir l’insigne inutilité du déchet de la pensée ». C’est à ce mouvement, sans résolution, que se tient Bataille. L’enjeu de sa pensée, convulsive, véritable préface à la transgression (Foucault), « se déploie dans la violence d’une pensée irrécupérable », « le caractère hétérogène du non-savoir ne s’oblitér(ant) que du signe de l’illisible ». Bataille critique l’imposture d’un savoir où se détruirait « l’hétérogénéité de l’excrétion textuelle », il joue une irréductible négativité contre « la positivité globale du mouvement dialectique ». Hegel en est la cible patente. C’est aussi contre un autre emblème, Breton incarnant la révolution surréaliste, que Bataille lance en 1930 (mais tout cela aurait été orchestré par Desnos), le pamphlet collectif Un cadavre. Frédéric Aribit en montre toutes les ramifications, autant biographiques que propres au devenir de Bataille lui-même (meurtre du père inceste, etc). Retenons également de cet ensemble rigoureux la contribution de Michel Surya (Felix culpa) à propos de Discussion sur le péché (réed. Nouvelle éd. Lignes), dialogue tenu face aux attaques de Sartre contre L’Expérience intérieure (1943), un entretien passionnant avec Christian Prigent (Retour à Bataille), ainsi que la lettre (très forte) de réponse qu’il fit à Olivier Cardiot après la parution, dans le premier numéro de la Revue de littérature générale, d’un texte très hostile au commentaire de Bataille des photographies d’un supplicié chinois.

« témoigner du centre de l’orage »
cinquantenaire de Georges Bataille

 

Cahiers Georges Bataille 1

Lettres de la Magdelaine
29 mai 2012
http://www.lettre-de-la-magdelaine.net/spip.php?article298

Les Éditons les Cahiers publient des cahiers consacrés à Antonin Artaud, Georges Bataille, Laure et Michel Leiris.

 

Jean-Sébastien Gallaire qui les dirige ajoute : « Chaque numéro rassemble une diversité inédite d’articles, de témoignages, de créations littéraires et d’iconographies et offre, par les différents horizons de ses contributeurs, une lecture singulière et contemporaine de l’œuvre étudiée ».

Le premier des Cahiers Georges Bataille, qui anticipa l’année du cinquantenaire, puisque paru en octobre 2011, ne déroge pas à cette définition, et il se présente, sensiblement, d’une toute autre manière que le dossier de la Revue des Deux Mondes : 280 pages, notes, bibliographie, index, et de fait s’il croise la circonstance du cinquantenaire, moins qu’une manière de considérer du point de vue de nos années la postérité de l’œuvre, il s’agit plutôt de la réunion d’écrits de chercheurs ou d’écrivains dont l’œuvre propre est liée à celle de l’auteur de L’Érotisme. Les contributions y sont très denses, et la part spécifiquement critique y est la plus développée, sans nécessairement qu’il y ait eu recherche, d’une contribution à l’autre, d’une unité de ton, visant à donner une image unifiée de l’écrivain et penseur.

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« Valeur d’usage de Georges Bataille »

Non fiction.fr
21 décembre 2012
https://www.nonfiction.fr/article-6275-valeur-dusage-de-georges-bataille.htm
Thibaud Coste

L’œuvre de Georges Bataille inspire de nombreuses lectures en France comme à l’étranger – le premier numéro des “Cahiers Bataille” fait donc état des thèmes qui hantent Bataille comme il les hante lui-même.

Couverture sobre, noire et rose – promettant le livre à l’Enfer –, comme presque nue, à l’image du sexe de Madame Edwarda, le livre attend qu’on l’ouvre, qu’on écarte ses pages. Au seuil du livre déjà, la promesse est faite d’une transgression possible, mais le seuil franchi, le secret est rompu : non-initié s’abstenir.

De toute évidence, Georges Bataille attire toujours. Cinquante ans après sa mort, voici la première livraison des Cahiers Bataille, par les Éditions Les Cahiers. Le choix de la revue a été d’effacer le prénom de l’auteur : “Bataille” est donc à la fois nom “propre” (ou plutôt nom “sale”) et nom commun. “J’écris pour effacer mon nom” dit-il quelque part ; en effet, il n’aura cessé d’emprunter différents pseudonymes comme autant de masques – à quoi bon insister sur un nom que les œuvres mêmes n’ont pas connu. Aussi, nom commun, certes comme bataille engagée par la critique pour réhabiliter l’auteur de L’Expérience intérieure, mais également comme nom qui rayonne en dehors de l’auteur et le dépasse. Ce premier numéro des Cahiers Bataille se veut résolument “bataillien” – pour peu que ce qualitatif ait un sens.

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