Revue de Presse Cahiers Artaud 2
« D’entre les murs ou la liberté de la pensée »
Lelittéraire.com
29 octobre 2015
Jean-Paul Gavard-Perret, poète et critique
Les Cahiers dirigés par Alain Jugnon et Jean-Sébastien Gallaire deviendront des outils majeurs pour tenter de cerner les voyages intérieurs de celui qui écrivait dans ses Cahiers du retour à Paris : « Les portes n’existent pas et on ne va jamais que nulle part que là où l’on est ». D’Artaud, qui demeure toujours masqué (ou passé sous silence), transparaît dans ce nouveau numéro un portrait qui est refusé trop souvent à l’auteur des Cenci. A savoir, celui qui pesa de « l’énormité de la vie matérielle et non religieuse […] poète inique par excellence, pourfendeur de tous les occultismes et de chaque ésotérisme » (A. Jugnon). Cet angle de vue est important : lorsqu’on veut se débarrasser du corps d’Artaud et du corpus de l’œuvre, il est de bon ton (de bonne guerre pour certains ?) en effet de les pousser dance cette impasse d’où les Cahiers Deux les tirent.
Certes, il est toujours séduisant de limiter Artaud à une affirmation et sa conséquence : lorsqu’un incendie a été commis envers le langage et la pensée qu’il engendre, l’asile seul pourrait tendre les bras au « pyromane ». Mais plutôt que de convier à un banquet inattendu pour accueillir la victime-coupable, les contributions prouvent icique si les mots sont faciles la réalité l’est moins. Il convient donc de sortir le faiseur de torts de la simple affirmation qu’il est « tordu ». Ainsi, les commentaires — qui osent parfois des considérations apparemment éloignées du « sujet-Artaud » — prouvent comment un corps, ses organes, son langage dé-lié viennent « dans l’embrasure d’un malentendu articuler le réel »(Alexandre Costanzo).
« Artaud, Cahiers numéro 2 »
Sitaudis.fr
30 octobre 2015
Jean-Paul Gavard-Perret, poète et critique
Si pour Artaud le voyage semble impossible – « les portes n’existent pas et on ne va jamais nulle part que là où l’on est » écrit-il dans ses Cahiers du retour à Paris – il n’en va pas de même pour les contributeurs de cet excellent ensemble. Leurs divers « voyages » dans l’œuvre provoquent un déplacement capital. Est précisé par diverses entrées qu’être à la recherche d’un « monde perdu » n’est ni répondre à « l’appel du néant » ni à celui d’une « Réalité Divine Suprême » (termes qui mériteraient un long développement chez l’auteur). Les auteurs illustrent la qualité particulière du déplacement initiatique d’un auteur qui – contrairement à la « tradition » attachée à lui – n’a jamais pris le bas pour le haut, ni l’obscurité pour la lumière. Comme l’auteur le précisa à Henri Parisot : « ce n’est pas Jésus Christ que je suis allé chercher chez les Taharumaras mais moi même hors d’un utérus dont je n’avais que faire ».
L’immense mérite des « Cahiers Deux » tient à ce qu’il ne cherche pas à « psychanalyser » l’auteur. Certes Deleuze et Derrida sont convoqués mais Bousquet tout autant. Et pour s’approcher au plus près de l’œuvre le directeur de publication (Alain Jugnon) a ouvert le corpus à des textes de création « pure ». Ils permettent un « coït tellurique » (pour parler comme l’auteur) avec l’œuvre. Ces voyages paradoxaux l’ouvrent face au « néant erroné » pour voir ce qui se cache derrière. Si bien que ce corpus critique dans son hybridation atteint le cœur de l’œuvre dans ses couleurs de lave volcanique vibrante.
L’ensemble permet de rétablir des équilibres face à la « malchance » qui colle à l’œuvre comme elle colla à l’existence. Elle entame une renaissance et surtout le désenclavement du « cerclage » qui entoure l’œuvre marquée du sceau « du sang des sacrifiés, des victimes de la conquête, rouges du soleil qui les brûlent ». Alain Jugnon met d’ailleurs en relief l’aspect pyromane d’une œuvre qui ne cesse de brûler de son « feu ». À tous les amateurs d’Artaud ce livre deviendra un outil indispensable. Il ouvre des horizons, montre la nature particulière de la transsubstantiation d’un poète pour lequel « il ne s’agit pas d’entrer mais de sortir des choses » tout en fuyant comme la peste tous les occultismes et les ésotérismes au profit d’une vie matérielle et non religieuse.
La langue d’Artaud – des textes premiers aux glossolalies des cahiers de Rodez et d’Ivry – retrouve son souffle oublié et saccagé, sa cruauté ou plutôt sa densité de matière noire que Serge Margel, Jérôme Diwa ou Arno Bertina ouvrent à des dérives imprévues voire a priori intempestives : le Rock and Roll (avec le Jésus « Naze Cool » de Mordillat et le texte d’Aurélien Lémant) est appelé comme l’œuvre de Jean Eustache. Rien pourtant de superfétatoire dans ces approches : fondre l’œuvre d’Artaud dans l’ailleurs est un moyen de libérer la parole d’Artaud pour, comme il le demandait lui-même : « en détacher la dernière petite fibre rouge de la chair ». Le tout dans la « fiole » (dixit Artaud) d’une œuvre irrécupérable où tout se bat, se débat et où en « transmetteur éclopé l’auteur retrouve la mécanique du foyer le plus crucial » (Virginie di Ricci).
Cahiers Artaud n°2
Nova Book Box
16 novembre 2015
Lecture des textes d’Aurélien Lemant (« Opération : Glossolalie. Artaud et le King, une tentative de Cruauté ») et de Miguel Morey (« Antonin Artaud : le corps et la grammaire »), par Richard Gaitet, journaliste et critique
« Antonin Artaud : Lettres 1937-1943 / Cahiers Artaud »
Cahier critique de poésie
26 juillet 2016, n°32-3
Francis Cohen, poète, professeur de philosophie
« j’ai un corps qui subit le monde, et dégorge la réalité
ET L’IMAGE DE LA FOLIE DU MONDE S’EST INCARNÉE DANS UN
TORTURÉ »
Antonin Artaud
La plupart des lettres publiées dans ce volume sont inédites. De nombreuses lettres retenues par les administrations asilaires, celles au Dr Léon Fouks et des lettres retenues par lui, mais adressées à d’autres correspondants sont donc maintenant lisibles grâce à cette édition.
Le 30 septembre 1937, Antonin Artaud, expulsé d’Irlande, est, aussitôt arrivé au Havre, transféré à l’asile de Sotteville-les Rouen, le 1er avril 1938 il est interné à Sainte-Anne puis à l’asile de Ville-Évrard où il restera jusqu’en janvier 1943. Ces lettres, souvent délirantes, témoignent des souffrances, des privations dont fut victime Antonin Artaud, il accuse les « initiés » de le persécuter, d’être responsables de ses internements, il accuse, par exemple le Dr Lacan « qui est l’homme à tout faire des Initiés, mais qui pour les non-Initiés est un psychanalyste mondain. » Dans une lettre à Roger Karl du 1er mars 1939, il insiste sur les brutalités dont il est victime à Sainte-Anne et accuse l’administration « de disposer de [lui] comme d’un colis, QUI N’A PAS LA PAROLE. » Antonin Artaud ne cesse, à longueur de lettres, de réclamer de l’héroïne et des paquets de cigarettes indispensables pour conjurer ses délires. L’absence de drogue est un enfermement dans l’enfermement.