Revue de Presse Cahiers Bataille 4
Un oursin dans le potlatch – à propos de l’expo « Futomomo » et d’un Dictionnaire Georges Bataille
AOC [Analyse Opinion Critique]
26 mars 2019
Éric Loret, critique
Dans sa main gauche, Éric Loret a pris l’exposition « Futomomo » au CAC Brétigny, et de sa main droite il a saisi le numéro 4 des Cahiers Bataille. Puis il a frotté l’une contre l’autre. Et produit, si ce n’est des étincelles, du moins un texte brillant sur l’art de la critique.
Il n’y a pas d’idée en soi dans un livre, un film, une expo ou quelque objet auquel s’arrête le critique. Ou alors s’il y en a, c’est facile, elle est indiquée noir sur blanc dans le dossier de presse, il suffit de recopier. Mais une idée critique, c’est entre les objets, dans la tête de l’amateur d’art. Un collègue déclarait un jour en direct à la radio : « J’ai eu une idée que j’ai trouvée intéressante à propos de… » La formulation prête à rire mais c’est très exactement la réalité.
S’il y avait des cours de critique dans les écoles de journalisme, on pourrait dire aux étudiants : il faut appliquer une idée à un objet. Vous allez voir une expo, vous avez des impressions, des crépitements de neurones, vous rentrez chez vous, vous ouvrez un essai de philo au hasard et vous tartinez l’idée que vous avez trouvée sur ce que vous avez vu. C’est comme ça que font les curateurs. Par exemple, il y a vingt ans, on appliquait le Pli de Deleuze. l’éternité par les astres de Blanqui, il y a dix ans. Aujourd’hui, vous prenez le chthulucène de Donna Haraway, ça marche à toutes les sauces, en vertu de cette remarque de Barthes : la critique ne consiste pas à découvrir un sens caché dans un objet mais au contraire à lui fournir un contexte d’intelligibilité. C’est mieux si l’idée et l’œuvre ont une affinité, mais si vous voulez faire l’intéressant, vous pouvez choisir des éléments sans rapport, théorie surréaliste de l’écart maximal, i.e. bleu comme une orange.
Ainsi, je voudrais chroniquer l’exposition « Futomomo » au CAC Brétigny et les Cahiers Bataille n°4 qui sont un « dictionnaire critique Georges Bataille » mais je n’ai pas assez d’idées sur chaque pour faire un article consistant. Je vais donc frotter l’un contre l’autre pour voir où cela mène.
Concernant Georges Bataille, j’étais un peu réticent à ouvrir ce dictionnaire. Comme si l’on me proposait de déterrer les kleenex dans lesquels je me branlais à l’âge de 20 ans. À la fin de l’adolescence, c’est génial de découvrir Ma mère, le Mort (« MARIE CHIE SUR LE VOMI »), L’Érotisme bien sûr, le plus recommandable, qu’on pouvait presque utiliser académiquement (un jury d’agrégation : « votre analyse bataillienne de ce passage de Paul et Virginie est passionnante, mais vous avez oublié de dire l’essentiel »), et puis l’Expérience intérieure, etc. Un foudroiement, orgasme purement cérébral – une passion ascétique. Transgression, petite mort, dépense infinie. À l’époque, tout le monde allait suivre les cours du spécialiste Francis Marmande, à Paris VII. Il a formé des générations d’universitaires et de critiques.
Entre « Futomomo » et Bataille, je ne vois que Hans Bellmer, comme rapport. Et encore.
J’ai beaucoup lu Bataille mais c’est comme si j’avais tout oublié, il doit être cousu dans la doublure de mon crâne. Étant si intime, je ne supporte guère les usages mous (« dignes du Concours général des lieux communs » note Marmande dans ces Cahiers), par exemple les clichés qu’on lit à tort et à travers dans certaines galeries d’art : songer à appeler une expo « Un oursin dans le potlatch », tiens. Ou un ourson, version bisounours. Il me semblait que Bataille était aussi vieux que moi mais, ayant constaté un effet d’électrisation chez des amis artistes de 24 ans et demi, j’ai dû reconnaître mon erreur. Du coup j’ai essayé de leur fourguer Sade et Lautréamont (sans Blanchot) à lire, mais ça n’a pas accroché. La semaine prochaine je tenterai peut-être Bossuet (sans Sollers).
Entre « Futomomo » et Bataille, je ne vois que Hans Bellmer, comme rapport. Et encore. Parce qu’il y a un demi-mannequin de l’artiste Jean-Alain Corre dans l’exposition, une sorte de polochon à deux jambes habillé d’un jeans rapiécé, mais comme blessé, et de la braguette duquel sort un bijou doré en forme de poisson. Cette pièce me rappelle une page du catalogue de Corre, 11 Supers Épisodes de Johnny (2016) : à un endroit, enfoui dans une page, derrière des voiles ou des obstacles à la vue en amorce, on aperçoit la peau du pénis de l’artiste, qui a l’air douce. Ou plutôt, c’est un pénis présenté comme on présente culturellement la vulve : en creux, voilé, presque en « culotte à trous-trous » comme disait Gainsbourg, plutôt qu’érigé.
J’ai rencontré Jean-Alain Corre pour la première fois il y a un peu plus d’un an. Je m’étais déguisé en Isa Genzken pour le faire parler. Il m’avait déclaré être l’esclave d’un certain Johnny (pas Halliday), dont j’avais cru comprendre qu’il en était aussi le double ou le père ventriloqué : « Johnny est poisson ascendant poisson. C’est un signe astrologique qui est très lié à l’ouïe. Il est né il y a 40 ans, il est féministe, darkweb, antiweb, post-Internet, gay et hétérosexuel à la fois ». Je ne sais pas si cela conviendrait à Bataille. Je n’ai aucun souvenir d’avoir vu des gays chez Georges. Des hétérosexuels non plus, en fait, puisque l’homosexualité n’y existe pas. La question n’est pas pertinente. Que disent les Cahiers Bataille à ce sujet ? Voyons l’article « Hétérologie », rédigé par Didier Ottinger : « science de l’identification, de l’exemplification des différences, exercice d’attention à l’altérité […], l’hétérologie est la condition sine qua non de la manifestation d’un “sacré” ».
Un peu plus haut, à « Femme », il y avait des trucs sur le trou, la disparition, le sacrifice. Or, constate Ottinger, notre époque est celle de « l’arasement méthodique des “parfaits contraires” », l’identité sexuelle devenant une « affaire de gradation ». De ce point de vue, Johnny fait de la résistance : il n’est pas bisexuel, affirme-t-il, mais polarisé : gay et hétéro à la fois. Pour lui, « gender studies » et « postcolonial studies », dégoise-t-il, « sont aujourd’hui des sortes de cosmétiques ou une sorte de formalisme éthique. » Curieusement, le prénom de Johnny fait écho à une autre préoccupation d’Ottinger : « L’art, pour Bataille, tirait sa grandeur, sa légitimité, de l’affranchissement dont il témoignait à l’égard de toutes formes de finalités et d’utilité. » Mais voilà que cette souveraineté a disparu avec « l’art de proximité », dont Ottinger date l’avènement de l’époque de « l’intronisation comme “héros culturel” du dernier des “yéyés” ». Johnny serait-il une sorte d’assomption de cette disparition ?
Il n’y a pas que Johnny et Jean-Alain à « Futomomo ». Il y a aussi Than Hussein Clark, Mathis Collins, Xinyi Cheng, Cameron Jamie, Sylvie Auvray et Anne Bourse. Et surtout le commissaire, Franck Balland, qui explique ainsi le titre de l’exposition (je recopie) : il y a le shibari, « pratique érotique qui consiste à suspendre le corps de son partenaire par l’usage de cordes » (voir Araki). Le futomomo est un type de nœud qui imprime sa marque sur la jambe en s’y enfonçant : « c’est cette relation spécifique entre l’objet, le corps, et l’expression des désirs parfois complexes qui les unissent que cette exposition souhaite mettre à jour à travers le spectre déformant de l’art contemporain ». On sent qu’on est proche de « l’insu » selon Lacan (qui avait épousé l’ex de Bataille, Sylvia, laquelle est formidable dans Partie de campagne de Renoir, soit dit en passant). On serait tenté d’aller du côté de la vie et l’amour des choses, comme les ont théorisés le philosophe Remo Bodei, mais connaissant la différence entre l’objet (qui se présente à nous) et la chose (qui se dérobe obscurément), on restera plutôt dans le camp des meubles, en tant qu’ils ont leur vie propre depuis au moins Henry James.
Ce sont d’ailleurs eux que l’on voit d’abord en entrant au CAC Brétigny : une sorte de chaise ancienne écartelée d’un côté, un guéridon entravé de l’autre. Concernant la chaise, ce n’est plus Bellmer. On en est carrément à Balthus. Cette œuvre de Than Hussein Clark ressemble à une petite fille cuisses ouvertes : il s’agit en réalité d’un siège édouardien démembré et conservé dans des poutres de résines transparentes qui, assemblées, évoquent le corps et les pattes d’une araignée. On pense à la ruine de la Kaisersaal du Grand Hotel amputée sous verre à Berlin, Potsdamerplatz. Préservation, exhibition. Une œuvre qui porte la dévoration et subit le viol en même temps. Titre : Mrs Maugham or The Pickled Waitress (2018), la serveuse en saumure. Il y a une explication dans la plaquette d’accompagnement, à propos du couple formé par Somerset Maugham et Syrie Barnado ainsi que sur l’homosexualité du premier.
Un peu plus loin, une autre œuvre du même artiste britannique, Blank Kensington Shaving Mirror (Love is the Devil) (2018), révèle par son détournement de la rhétorique moderniste (Art Déco, ici) ce que celle-ci peut avoir d’hygiéniste et en quoi les arts décoratifs sont aussi affaire de sexe : « dans le modernisme, le décoratif est lié à la pathalogie sexuelle et à la féminité » déclarait Clark à Mousse Magazine en 2016. Quant au guéridon, outre qu’il supporte une ronde de petits clowns flippants, ses pieds sont ornés de bizarres masques assez grossiers, dont on apprend qu’ils ont été fabriqués par les élèves d’un lycée où Mathis Collins a été en résidence, à « l’image de l’artiste, grimé pour une performance ». Une sorte de capote en pierre posée sur les extrémités de l’œuvre par d’autres que l’artiste, mais à sa ressemblance, comme un rituel sacrificiel. C’est le moment d’ouvrir le dictionnaire Bataille à l’entrée « Masque » : « figure de la part maudite, à chaque instant sur le point de déborder celui qui la nie », écrit Ferdinand Gouzon en introduction. Et de remarquer que les manifestants sont interdits de porter des masques. C’est assez bien vu pour parler de ces étranges pieds du guéridon de Collins.
Xinyi Cheng est l’artiste « incontournable », comme on dit, de ces trois dernières années : palette fauve en nuit américaine, personnages dérobés, imagerie doucement homoérotique.
À l’opposé de la pureté perverse des lignes modernistes de Clark (dont on trouverait quelques échos dans la hotte aspirante ou l’élément de poubelle utilisés par Jean-Alain Corre pour Poisson ascendant poisson), c’est le voile, l’incertain, le gris, qui caractérisent à la fois les peintures de Xinyi Cheng et l’installation de Corre, Anne Bourse et Sylvie Auvray. La peintre de Shanghai est l’artiste « incontournable », comme on dit, de ces trois dernières années : palette fauve en nuit américaine, personnages dérobés (cf. Khnopff), imagerie doucement homoérotique, tout ici se présente comme à la fois difficile d’accès (on regarderait à travers une vitre, les eaux d’un lac gelées) et entièrement là, à la surface. Par exemple l’extraordinaire Moon Water (2017) où l’on voit un torse masculin rose sur un fond violacé trempant deux doigts dans un verre de vin, tel un christ inversé. Sur la table devant lui, une boîte d’allumettes et une assiette contenant des tranches étoilées de carambole. Même si Bataille est loin, on peut essayer d’appliquer là un morceau de l’Anus solaire, poème surréaliste de 1927 : « Il est clair que le monde est purement parodique, c’est-à-dire que chaque chose qu’on regarde est la parodie d’une autre, ou encore la même chose sous une forme décevante. » Oui, c’est pas mal, cela va bien avec le voile, mais Cheng n’a rien à voir avec la violence globale du texte de Bataille. Si l’on place ces phrases sous ses tableaux, on fait une sorte de contresens, mais le rapprochement reste néanmoins productif : « Un homme placé au milieu des autres est irrité de savoir pourquoi il n’est pas l’un des autres. / Couché dans un lit auprès d’une fille qu’il aime, il oublie qu’il ne sait pas pourquoi il est lui au lieu d’être le corps qu’il touche. »
Pour publier l’Anus solaire, Bataille avait lancé une souscription. Dans le bulletin, on lisait que le soleil est « écœurant et rose comme un gland, ouvert et urinant comme un méat ». On ne sait pas ce qu’en pense Johnny-Jean-Alain, même si l’année dernière il nous avait avoué vouloir tout recouvrir d’or et que son « fantasme actuel […] serait d’intégrer la cour du Roi-Soleil » pour y frôler l’oreille de Marie-Antoinette (Johnny a une notion vaste de la chronologie). Versailles est en effet pour lui le royaume de « la prothèse performative » – par exemple « les hommes chargés d’actionner les fontaines » des jardins sont l’exosquelette du roi. Côté fontaine, il ne pourra ainsi pas dire que son méat coule pas. À « Futomoto » il y a un surmatelas imprimé de Johnny, gris jaunâtre et vert, qui évoque à la fois les flagelles d’André Masson et les écritures de Simon Hantaï. Son univers (une installation, donc, entourée de voiles) absorbe en quelque sorte les œuvres d’Anne Bourse et Sylvie Auvray. De celle-ci ce sont des bijoux en terre cuite émaillée, représentant des animaux qui sont posés au sol. En plus de « Masque », lire « Animal » dans le dictionnaire Bataille, entrée due à Jean-Christophe Bailly : « Ce que Bataille a vu à Lascaux, ce sont ces formes, déployées par les hommes au moment même où ils découvrent qu’ils s’en sont séparés. Pour lui, la splendeur de ces peintures répond de la tonalité d’un adieu. » Pas mieux. Pour Anne Bourse, on sait qu’elle travaille sur le textile. Ici ce sont des bombers et des anoraks, un sac, accrochés avec douceur sur les structures de l’installation ou par terre. L’ensemble donne l’impression de la chambre d’une Marie-Antoinette new age qui aurait été poursuivie par la Bête de Walerian Borowczyk, avant de finir déchiquetée sous forme de dépotoir ouaté.
Mais le clou – et la clé – de l’exposition reste la vidéo Massage the History (2007-2009) de l’Américain Cameron Jamie, sur une chanson de Sonic Youth, et qui part d’un document trouvé sur Internet : on y voit quatre jeunes mecs Africains-Américains se livrer à une danse jouissive dans une maison qu’ils sont en train de cambrioler : l’un d’eux en particulier fait semblant de se masturber contre un pouf. Jamie a demandé à des danseurs professionnels de rejouer ce rituel : le résultat, mêlé d’images où l’on voit une mémère avec son chat (j’ai noté « prothétique » sur ma feuille de salle, je ne sais plus pourquoi) ainsi qu’un incendie de sapin de Noël rappelant les intimidations du KKK, est étrange et contondant.
On comprend du coup que cette libido pour les objets qui est le fil rouge de « Futomomo » est très exactement le contraire du « sex-appeal de l’inorganique » défini par Walter Benjamin : un désir consumériste qui conduirait à nous traiter nous-mêmes comme des marchandises. Ici, le meuble est un être vivant comme les autres. On le caresse, on le pénètre. On prend soin de la marchandise afin que, marchandise nous-mêmes, nous prenions soin les uns des autres : ne traite pas ton guéridon autrement que tu voudrais qu’on te fasse. Dans l’article « Économie générale » des Cahiers Bataille n°4, Michal Krzykawski note que Georges s’est planté en croyant que l’échappatoire viendrait de la dépense. Car il n’avait pas prévu un « capitalisme soumis au non-droit de la financiarisation plutôt qu’au droit de la production ». Krzykawski propose donc, à la suite de Bernard Stiegler, « de réinventer la souveraineté à l’époque où “l’hyper-synchronisation” des énergies des je, qui sont massivement occupées par les fétiches industriels […], mène à une perte totale de la possibilité d’être souverainement sur le plan individuel et collectif ». Aussi bien, sodomiser collectivement des fauteuils crapauds lors de transgression festives apparaît-il du coup comme un début d’oursin dans le potlatch, CQFD.
Le subversif « Dictionnaire critique » de Georges Bataille
France culture
30 avril 2019
A comme abattoir, B comme bouche, C comme crachat… Le « Dictionnaire critique » n’est pas un étiquetage rassurant de mots et d’idées, mais un déchainement d’agressivité. Un laboratoire de subversion intellectuelle, un véritable tentative de mettre en crise le savoir et les concepts.
L’œuvre de Bataille, figure de l’irrespectueux, de celui qui aiguise l’irrévérence, a donné naissance à un mythe. Cette dimension mythique est en bonne part le fait du scandale : Bataille est surtout connu pour avoir écrit des livres érotiques. Elle est aussi le fait du mystère : il y a chez Bataille une tendance à l’occultation qui trouvera sa forme achevée dans la création de la société secrète « Acéphale ». À quoi s’ajoutent les ambivalences du personnage.
Le numéro 4 de la revue les Cahiers Bataille a pris la forme d’un « dictionnaire critique » en référence à la revue Documents (1929-1930) fondée par Georges-Henri Rivière et Georges Bataille qui y faisaient régulièrement paraître une rubrique nommée « Dictionnaire critique ». Appliqué aux concepts-clés de Bataille, ce terme de « dictionnaire critique », ouvre une perspective nouvelle qui permet de porter sur eux un regard décalé, donc critique. L’ouvrage réunit les contributions de 68 auteurs : écrivains, philosophes, artistes, psychanalystes, universitaires, libraires, chercheurs indépendants, éditeurs…
« Un laboratoire de subversion intellectuelle, un véritable tentative de mettre en crise le savoir et les concepts. » François Angelier
Une présentation de la revue Cahiers Bataille #4 : « Dictionnaire critique de Georges Bataille », enregistrée en mai 2019.
Catherine Millet, écrivaine, directrice de la rédaction d’artpress
Thomas Clerc, écrivain
Arno Gisinger, artiste-photographe.
À PROPOS DE LA REVUE : Les Cahiers Bataille, publiés aux Éditions les Cahiers, rassemblent une pluralité inédite d’études, d’entretiens, de témoignages, d’hommages, de textes littéraires et d’iconographies portant sur Georges Bataille, « l’un des écrivains les plus importants » du XXe siècle (Michel Foucault). Les horizons divers des contributeurs offrent régulièrement une lecture croisée de l’écrivain et de son œuvre dans la réflexion et la création contemporaines.
« La Besogne des mots », Georges Bataille, Cahiers 4
l’Intervalle
7 mai 2019
Fabien Ribery, écrivain et critique
« Bataille a fait de la devise du diable – Non serviam – celle de la littérature. » (Michel Surya)
Elégant, intelligent, effervescent.
Le numéro 4 des Cahiers Bataille, qui est un dictionnaire critique conçu en hommage à la revue Documents (1929-1930), est un outil de travail formidable pour comprendre et questionner un penseur et écrivain – les lire absolument ensemble – qu’on ne finit pas de redécouvrir, en témoignent les publications attendues la Besogne des images chez Filigranes, ouvrage collectif sous la direction de Léa Bismuth et Mathilde Girard faisant suite à l’exposition tripartite la Traversée des Inquiétudes ayant eu lieu à Labanque de Béthune de 2016 à 2019, et chez Macula la Ressemblance informe de Georges Didi-Huberman (chroniques évidemment à venir).
Les mots clés sont ici de tous ordres (liste non exhaustive), yoga, tête, surréaliste, révolte, poupée, part maudite, islam, impossible, fascisme, Dieu, communauté, animal, amour.
Il ne s’agit pas de traiter tous les thèmes présents dans les douze volumes des Œuvres complètes (et à compléter encore) publiés par les Editions Gallimard entre 1970 et 1988, mais d’ouvrir, en cinq mille signes et subjectivité assumée, des perspectives, des portes (ou porches sacrés), des angles de vision.
Une surprise de taille attend les lecteurs à l’entrée honte, un inédit superbe de Bataille commençant ainsi, le ton est donné : « Il y a longtemps qu’un derrière révélé hors de propos fait rire. La méditation s’attarde au scandale de Jésus en croix. Mais « le derrière qui fait rire », et dont Jésus lui-même aurait dû rire (si son humanité fut plus qu’une apparence), n’est pas un moins divin objet de scandale. Un derrière joli ou difforme et mon rire enfantin font paraître la Vérité. Si l’on parle de Vérité (si l’on philosophe) sans dire que le derrière fait rire, la philosophie est la vieille dame dont la jupe fait la dignité, mais non la jeune fille à qui on l’ôte. »
En fin de volume se trouve un entretien passionnant avec l’écrivain Michel Surya, fondateur de la revue Lignes, auteur notamment de Georges Bataille la mort à l’œuvre (Gallimard, 1992).
On peut y lire ceci, qui définit toute la pertinence d’un parcours (anti)politique en mouvement : « Mon engagement n’est sans doute plus le même, puisque c’est votre question. Ces trente dernières années l’ont changé. Je l’ai appelé « politique » longtemps, révolutionnaire même, et volontiers (définition que je me suis donnée vite, peut-être un peu légèrement – après tout, la révolution exige plus que la pensée, elle appelle l’action), et je l’appellerai aujourd’hui : antipolitique. Antipolitique en ce sens que, tout au plus, je ne nous crois plus, maintenant mais peut-être momentanément, capable d’autre chose que de nuire au système de domination et d’exploitation (pas de le renverser). Désormais, je suis beaucoup plus proche, que tout le temps où j’ai composé avec les possibilité douteuses de la politique, de mes origines anarchistes. Ce sont elles en tout cas que je suis de plus en plus résolu de faire valoir ; mais ni seul ni à l’écart – avec mes amis et avec Lignes. Avec mes livres, mes livres « antipolitiques » en outre. » (pensée à mettre en tension avec ce qui s’énonce aussi de fondamental dans Tout est accompli, le tiers livre des Yannick Haenel, François Meyronnis et Valentin Retz chez Grasset – j’en parlerai).
Monika Marczuk & Nicola Apicella justifient ainsi la tonalité générale de leur beau travail : « Enfin, le principe qui guidait notre entreprise consistait à considérer la fidélité à Bataille comme secondaire en regard de la fidélité de chaque auteur à lui-même. L’idée qui soutient ce principe étant la suivante : plus nos propos sont sincères, alignés avec nos pensées et nos actes, plus notre esprit s’approche de celui de Bataille ; plus notre pensée est sous influence de ses textes, plus elle perd en force et en pertinence. »
Monika Marczuk écrivant dans une chronique concernant L’Art de la Faute selon Georges Bataille (Editions Lignes, 2017), de Mathilde Girard : « Il pourrait être utile d’affirmer que c’est aux femmes elles-mêmes de briser cette altérité sainte et innocente. A nous autres femmes de prendre la parole, d’écrire une nouvelle Madame Edwarda qui serait la nôtre, d’assumer notre sexualité, serait-elle débridée ou atrophiée, et de cesser de se voir comme des folles et victimes. Il est en effet probable que Bataille s’inspirait dans ses écrits des rapports intimes qu’il a entretenus avec les femmes, voire de leurs comportements sexuels. Mais premièrement, il n’a jamais, semble-t-il, monopolisé le droit à écrire fidèlement à soi ; deuxièmement son œuvre peut concerner tout un chacun, indifféremment masculin ou féminin, en dépassant ainsi les différences sexuelles : solitude, séparation, absence de communication comme condition fondamentale de tout un être humain. »
Ceci étant dit – et pouvant être soumis à discussion-, entrons maintenant dans les mots, et la saveur des analyses.
Amour, Louise Robin : « L’amour est une séparation. »
Athéologie, Chunning Wang : « Dieu est mort, le champ du sacré s’est rouvert, il revient à l’homme d’oser être ce qu’il est, cet animal sacré. »
Georges Bataille, Monica Marczuk (je coupe, tranche, fait crisser les pneus) : Ecole des Chartres, Madrid, Nietzsche, Dionysos, Dr Borel, Kierkegaard, Maurice Blanchot, Vézelay, Hegel.
Bataille (nom commun) (2), Michel Surya : « Bataille vient à très peu près entre « bât » et « bâtard ». (…) Le Bas-taille, le très bas (-taille) même, anticipant si l’on veut (s’en séparant par le fait ou par définition) le très haut dont son ami Blanchot fait le titre d’un de ses livres. »
Bonheur, Francis Marmande, citant Le Coupable (1943) : « Je deviens fuite immense hors de moi-même, comme si ma vie s’écoulait en fleuves lents à travers l’encre du ciel. Je ne suis plus alors moi-même, mais ce qui est issu de moi atteint et ferme dans son étreinte, une présence sans bornes, elle-même semblable à la perte de moi-même. » (y entendez-vous comme moi Le bateau ivre d’Arthur Rimbaud ?)
Coupable, Mathilde Girard : « Le petit : nom du livre, de l’enfant, de la fente du cul. Je suis entrée par là. J’ai mis le doigt dans le trou et la nuit a pris l’épaisseur d’un souvenir d’enfance. J’ai ouvert la trappe qui mène à la cave, il m’a pris par la main et j’ai accepté de le suivre. Je ne sais qui est l’enfant : le lecteur ou celui qui écrit. Les rôles se sont inversés. Ceux de l’enfant et de l’écrivain, ceux de l’homme et de la femme. Ils cèdent l’un l’autre devant l’évidence d’une scène qui reproduit ses images dans une expérience infinie où l’amour rencontre la mort dans le parfum de merde du péché. »
Dépense, Pascale Fautrier (brillante) : « Il y a chez Bataille une érotique de la dépense, une économie de la dépense, une bio-cosmologie de la dépense et enfin une athéologie de la dépense. Il définit cette notion dès avant la Seconde Guerre mondiale, dans un article, « La notion de dépense », publié en janvier 1933 dans le septième numéro de La Critique sociale comme cette part de l’activité humaine qui n’a pas pour fin la continuation de la vie et la production des fins utiles à cette fin : « le luxe, les deuils, les guerres, les cultes, les constructions de monuments somptuaires, les jeux, les spectacles, les arts, l’activité sexuelle perverse (c’est-à-dire détournée de la finalité génitale) ». d’anthropologique en son origine (la description par Mauss d’une forme archaïque de l’échange, la surenchère du don et du contre-don), la notion de dépense improductive acquiert une ampleur cosmologique : elle est un mouvement général et universel de consumation à perte, dont le modèle est l’énergie solaire – ce qui ne signifie pas que le soleil en est « l’origine ». »
Edwarda, Louise Robin : « Nom d’une femme qui – depuis la publication en 1941 (antidaté de 1937) de Madame Edwarda de Pierre Angélique aux Editions du Solitaire – est devenu un concept à part entière. Edwarda est une fille publique. Le titre « Madame » lui confère la grandeur dont celui de « prostituée » est dépourvu. Contrairement à d’autres noms de Dieu – tels la Sainte Trinité, Yahvé, Elohim ou Adonaï – Edwarda semble celui de son absence. Et si l’absence de Dieu n’était pas moins divine que Dieu lui-même ? »
Erotisme, John Jefferson Selve (parfait) : « Georges Bataille, dans sa haine sans fin de la bourgeoisie, ne cessera de pourfendre ce qui fige une société : de la suppression des sensations et de l’assèchement du langage jusqu’à l’ataraxie citoyenne. L’érotisme apparaît toujours pour Bataille comme une attaque dirigée contre le contrat social post industriel et la normalisation économique et sociétale qui en découlent. Bataille est à la recherche des convulsions, des dissipations et des dépenses propres à saper l’ordre moral jusqu’à la perte de connaissance. L’érotisme est la nervure d’une dépense somptuaire ainsi que le souffle de notre part maudite. C’est là le fond des mondes et l’informe qui balaient toute l’hétérogénéité de son œuvre. »
Expérience intérieure, Muriel Pic (lectrice de Yannick Haenel et auteure d’une réflexion remarquable sur Le sang des bêtes de Franju) : « Rien de plus fou que la raison qui conduit les hommes à l’abattoir et parvient à leur faire accepter un destin où leur mort est programmée par avance. Dégager son destin de celui de la guerre, ce sera éprouver le fait d’exister à l’instant du danger, au moment où sont jetés les dés, où la chance d’avoir encore un avenir est possible. L’expérience intérieure tourne le dos à la raison, n’a de raison d’être que dans « l’ignorance de l’avenir. »
Mal, Mehdi Belhaj Kacem : « On peut avancer sans risque de se tromper que la catégorie de Mal constitue le concept central de la pensée de Georges Bataille. Pensée, et non « philosophie ». La philosophie ne s’occupe que du Bien. Comme le dira l’un des plus stricts continuateurs récents de Bataille, Michel Surya, dans L’Imprécation littéraire : « La philosophie fuit ce qui fait honte ». »
Masque, Ferdinand Gouzon (respirez bien) : « Je me souviens d’une après-midi du mois de mai, à Paris, le long du boulevard Diderot. J’étais au cœur de ce qu’on a alors appelé le « cortège de tête ». peu importe les revendications politiques qui étaient l’enjeu de la manifestation ce jour-là. Ce n’est pas cela qui m’intéresse. Mais plutôt l’instant gravé à tout jamais dans une mémoire où chacun, comme si un mot d’ordre invisible s’était répandu magiquement dans la foule, s’est mis à se masquer, à se camoufler, phénomène accompagné dans le même temps d’une montée graduelle et épiphanique de la violence et de la destruction partout autour de moi. Ce jour-là, j’assistai, effaré, à une pure fêlure de l’instant. Une déchirure dans le temps. Et cette métamorphose insensée ressemblait à une danse vénéneuse, à une cérémonie vaudou, à un délire expiatoire, à la possibilité d’une expérience directement vécue, non médiatisée par quoi que ce soit. Abris bus pulvérisés, barrières de métal fracassées contre les vitrines, façades des immeubles entamées à coups de marteau, inscriptions et hiéroglyphes partout sur les murs tagués à la bombe, ballet de gens masqués courant partout à des vitesses folles, voitures fracassées, et ces centaines de masques improvisés composés de foulards, de capuches, de lunettes de ski ou de protection, de masques à gaz, de casques de moto étaient comme l’irruption d’une beauté convulsive, de cette « vraie poésie [qui est en dehors des lois] (III, 218) dont parlait Georges Bataille. Et je ne peux m’empêcher, repensant à cette scène inoubliable, d’imaginer son fantôme égaré au milieu de cette foule terrible avec ses seuls yeux bleu gris et pâles souriant sous son masque en irradiant d’une lumière inquiète ce surgissement épiphanique et déchirant du chaos. »
Matérialisme, Patrice Maniglier : « Bataille met peut-être trop vite « la science » du côté du sensé, de l’autorité, alors que le savoir scientifique souvent interrompt le sens au lieu d’en ajouter. Comme le disait Cantor en découvrant les infinis non dénombrables : « je le vois, mais je ne le crois pas ». La science est peut-être aussi obscène, aussi insensée, que le sexe et le rire. »
Non-savoir, Jacques Nassif : « Il faut entendre le non-savoir chez Bataille comme un verbe, et non comme un substantif, ce à quoi cet effort pour s’abstenir de savoir doit tendre étant d’atteindre le but si nécessaire de préserver la part de « l’inconnu », et qui doit le rester entre les êtres qui se rencontrent et qui se parlent, pour continuer à se découvrir sans se lasser, ou pour éviter de tomber dans la détestation qu’entraîne le bien-connu. »
Nudité, Yannick Haenel : « Bataille n’est pas un noceur, encore moins un jouisseur : s’il lui arrive, la tête écrasée sous la pointe d’un talon aiguille, d’accéder à sa jouissance, la perversion qui anime son expérience tout entière – et en premier lieu sa révolte athéologique contre toute restriction – affole la régulation libidinale et fait dévier l’idée même de plaisir : il y a chez Bataille une scène, pas nécessairement écrite, mais permanente, et qui gémit entre les phrases de ses livres, où la nudité, en se convulsant, invite à entrer dans l’innommable. »
Nuit, Frederika Amalia Finkelstein : « La nuit, c’est le silence. La vérité, c’est le silence. Ce qui parle n’existe pas. Ce qui existe ne dit rien : le dit avec précision. Les yeux de Georges Bataille semblent troués par un éclat de foudre. On y devine leur endurance sauvage aux éblouissements. Je n’ai jamais lu Bataille de jour : je l’ai rencontré au cœur d’une nuit interminable. Ensuite, seulement dans les heures vides, avant l’aube, a perduré ma lecture. Cette rencontre insolente a pris la forme de ses mots : « Quelle aurore se lève en moi ? Quelle inconcevable lumière ? » (III, 132) – une aurore nietzschéenne, parsemée de traces des dieux absents. La nuit de Bataille n’a rien d’obscur : elle lève le voile, rebat les cartes. Elle oblige qui l’arpente à une force insensée : soutenir la vision d’un dangereux soleil – frôler le saccage de soi par l’obsession du dénouement. »
Petit, Elodie Petit : « Ce qu’elle voulait, sa peau tendue vers moi, désolée de sueur, sa cambrure parfaite et bourgeoise. Elle voulait que je lui prenne le cul par derrière ou rien, violentée, humiliée, souillée. Il fallait la remettre à sa place, cuisses immenses, son incapacité à donner. Rien, pire qu’un homme, une fois qu’elle avait joui, tout prenait fin. Fin de la délicatesse, fin du spectacle, faim de mon corps jamais rassasié de cyprine et foutre. »
Vérité, Philippe Forest : « En effet : « Comment nous attarder à des livres auxquels, sensiblement, l’auteur n’a pas été contraint ? » (III, 381) »
Violence, Lola Hamon : « Mais si la sexualité violente est aussi importante dans l’œuvre de Georges Bataille, ce n’est pas seulement pour le plaisir qu’elle procure. Les hommes, en s’associant, en se déchaînant entre eux, concurrencent la troisième instance de la violence, du sexe et de la mort : Le Soleil. Le Soleil est « la conception la plus élevée » dit Bataille dans un article intitulé « Soleil pourri ». Ce Soleil, intouchable, que l’homme ne peut regarder sans détourner les yeux, ne peut qu’apercevoir, est à rapprocher de l’image de Dieu, d’une divinité supérieure capable de vivre à des hauteurs et dans des dimensions inaccessibles à l’homme. C’est le Soleil, que l’homme entrevoit dans la jouissance – « le soleil fixé s’identifie à l’éjaculation mentale » (I, 231). C’est le Soleil, qui menace l’homme dans le ciel – son éclat est « emprunté à la mort » (II, 46). C’est sa violence, enfin, sa « violence lumineuse, verge ignoble » (I, 86), que l’homme sent, impuissant, dirigé contre lui. Le Soleil représente le verre impossible à briser, le geste violent qui ne finit jamais. Tout ce qui tend vers lui finit toujours par retomber : les fleurs, les érections, les hommes debout, Icare. »
Alors voilà, un oui quasi absolu à Bataille, mais un autre oui tout aussi solaire, peut-être plus inattendu dans le champ intellectuel actuel, à Henry Miller.
Je propose maintenant que les passeurs français les lisent de concert.
Pan dans l’anus.
Cahiers Bataille n°4
En attendant Nadeau
18 juin 2019
Jean Lacoste, essayiste
Les Cahiers Bataille publient un passionnant et particulièrement utile numéro. Comment faut-il prendre ce « Dictionnaire critique » ? La revue s’autorise de la présence régulière d’une rubrique intitulée ainsi dans la revue Documents, animée par Georges Henri Rivière et Georges Bataille dans les années trente, pour reprendre cette formule. Libre à chacun des contributeurs de porter un regard séduit, décalé, ou critique sur une œuvre qui n’a pas perdu de sa force sidérante de subversion des « tabous », ou plutôt des interdits – terme que Bataille préférait, comme le rappelle Arnaud Labelle-Rojoux.
Les différents mots-clefs de ce dictionnaire aux rubriques souvent personnelles, voire subjectives, n’ont pas tous le même statut : certaines notions sont explicitement présentes dans l’œuvre de Bataille, comme « Athéologie », « Angoisse », associée à l’agonie, etc. Pascale Fautrier, à qui l’on doit aussi la rubrique « Sacré », expose ainsi l’érotique de la « Dépense » tandis que Eduardo Jorge de Oliveira montre la violence, la puissance d’arrachement de la « Joie ».
Certaines entrées sont plus implicites, et pourtant d’une évidente légitimité, comme « Animal » (beau texte de Jean-Christophe Bailly), « Chamanisme » dans le cadre des débats sur Lascaux et l’origine de l’art (Bernard Vouilloux) ou la théorie du « Fascisme ». D’autres enfin, appelées méta-entrées, engagent l’interprétation de Bataille ou reviennent sur sa biographie : le « Mal » devient le concept central de la pensée de Bataille, pensée et non philosophie, et même pensée contre la philosophie, qui fuit la honte. Yannick Haenel peut, de son côté, faire de la « Nudité » une révolte athéologique, assez éloignée du porno contemporain. Quant à Christian Limousin, tout en prenant acte de la haine de la « Poésie » chez Bataille, il n’en renonce pas pour autant à lui reprendre le « projet d’une histoire universelle ».
Des éléments de la biographie figurent aussi parmi ces entrées : par exemple la revue Critique, à propos de laquelle Philippe Roger confie : « on ne s’occupe pas d’une revue, c’est elle qui vous occupe », ou Vézelay, évoquée de manière fantasmatique par Christian Limousin. Rien en revanche sur le conservateur ni sur les aspects les plus mystérieux de son action « acéphale »… Bataille lui-même est présent directement avec un fragment inédit des années 1946/47, venu du département des manuscrits de la Bibliothèque nationale et qui figure ici sous la rubrique « Honte ».
Il s’agit donc, on le voit, d’un dictionnaire « œcuménique » – pour reprendre le terme un peu surprenant des organisateurs du numéro – disons pluriel, et vivant, international aussi. Le numéro est complété par un rare entretien avec Michel Surya, le biographe de Bataille (Georges Bataille. La Mort à l’œuvre, Gallimard, 1992) et par le poème de Jérôme Peignot sur sa tante Laure et la tombe de Bataille. « De Laure à Vézelay est enterré l’amant ; / À l’écart sa dépouille à l’opprobre vouée / Sobre était la tombe et d’une rose signée. »